Issue de l’école de Leipzig et de l’histoire de la peinture européenne contemporaine avec en référence des artistes comme Paula Rego ou Marlène Dumas, Marta Morice, nourrie de littérature et d’essais psychologiques et démographiques, s’inspire dans son travail de notre société d’images et de ses paradoxes.
Promenons nous dans les bois…
Sous un ciel bleu azur ou teinté de mauve par un soleil couchant, se dresse une forêt. Composée de bouleaux aux troncs blancs bardés de stries noires, ou d’arbres indistincts aux feuillages verts, épais, denses, cette forêt semble être le théâtre de curieuses rencontres.
Œil aguicheur souligné de khôl et de rimmel. Regard blasé ou faussement coquin. Bouche en moue boudeuse rouge, rose. Portant une coiffure structurée avec une mèche enroulée au bord de l’oreille ou dissimulant une partie du visage. Un mannequin pose au premier plan.
Tour à tour enserrant en sous-vêtements un chat rose aux poils longs, dissimulé sous un chapeau vert à larges bords, habillé d’un manteau fleuri dans les gammes de roses, le mannequin tourne son regard vers l’extérieur, se coupant de la réalité narrative de la scène qu’il occupe. Derrière cette apparition de magazine ou de publicité, en noir et blanc, telle une réminiscence, un souvenir surgit des profondeurs d’une mémoire collective, des tanks, des groupes armés, des soldats, des manifestants sont représentés dans un trait énergique, graphique, de fusain, de pastels, de mine de plomb. Des coups de bombe blanche simulent la fumée. Une fumée opaque qui masque des pans entiers de la scène ici représentée, une fumée qui apparaît tel un brouillard venant empêcher l’identification, la perception de ces scènes inspirées des évènements de Prague en 1968 et des photographies d’archives.
Dans certaines scènes, un chat apparaît. Bleu vif ou rose fuschia, il figure un témoin décalé de ces évènements. Posant comme la statue de la liberté dans rowanberries, entamant une gigue ou un combat dans Je me rappelle ces chats forment un fil conducteur narratif d’une toile à une autre, tel le chat d’Alice au pays des merveilles. Nous tombons dans les toiles de Marta Morice comme dans un conte sous acide oscillant entre émerveillement et tragédie. Les couleurs chatoyantes, néons, les scènes incongrues et séduisantes de ces mannequins colorés, font face à ces visages de spectre, ces chars fantomatiques, ces cauchemars en noirs et blancs qui viennent perturber déranger notre lecture. Chat malicieux, démoniaque, inquiétant et amusant, cet animal nous questionne sur notre implication face aux images qui défilent dans nos sociétés. Sommes nous acteurs – lecteurs de celles-ci, ou nous laissons nous glisser dans la lente indifférence blasé de ces mannequins poupées ?
Les grands formats (147 x 200 cm) des peintures de Marta Morice bousculent notre système de perception. Les mannequins nous dominent et évitent notre regard. Les chats deviennent des géants humanisés. La scène entière nous englobe dans ses paradoxes de temps et de représentations. Passé et présent se côtoient sous un même bois, le futile mannequin domine l’histoire tragique dans un même récit. Histoire commune et histoires collectives se retrouvent dans les compositions de Marta Morice. Les couleurs franches, violentes, en opposition les unes aux autres déstabilisent le regard du spectateur. Il n y a pas de fuite possible si ce n est à l’intérieur de l’œuvre au fond des bois.
Dans les dessins de Marta Morice, le spectateur peut retrouver ces mêmes juxtapositions de scènes incongrues. Traitées à la mine de plomb, au fusain, les scènes historiques se détachent du fond blanc. Sorties de leurs contextes et de leurs environnements, les personnages semblent en attente, en lévitation, perdues sur le papier. Ils fuient, courent, s’interposent, combattent mais ne semblent trouver ni repos, ni abri.
Flottant au dessus de ces scènes, d’étranges papillons déploient leurs ailes colorées. Immenses, majestueux, ils deviennent une menace, de par leurs tailles et leurs proportions, planant sur les humains en fuite et en révolte.
Dans ses dessins sur papier photographique, le trait de Marta Morice se fait plus sec, plus agressif proche d’une morsure de gravure et fige des scènes de révoltes combinées à des portraits de mannequins, à des beautés évanescentes du temps passé. Ces scènes répondent à des aquarelles liquides, fluides aux couleurs et formes psychédéliques conférant une ambiance d’étrangeté, de rêve halluciné.
L’univers trouble de Marta Morice perturbe notre système de perception et de représentation. Pris dans un rêve ou dans un conte de fée mal digéré, les scènes se juxtaposent dans un curieux zapping de souvenirs faisant se confronter chats géants, mannequins pomponnés, scènes de guerre, de révolte, d’espoir . Histoire créée, inventée côtoient les histoires vécues ou subies dans des peintures colorées de verts, de mauves et de bleus au format des peintures d’histoire d’antan.
Lucie Cabanes